Comment la sémantique autour des zones humides a évolué dans la langue française

        

 

À l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française le 30 octobre dernier à Villers-Cotterêts, le centre de ressources milieux humides zoome sur l’évolution de la sémantique autour des zones humides.

La sémantique s’intéresse aux sens des mots. Elle décrit la façon dont le vocabulaire d’une langue évolue, comment une langue change-t-elle son vocabulaire et pour quelles raisons. 

La grande diversité de mots désignant les zones humides en France crée parfois une certaine confusion dans les esprits. Terre d’eau, terre humide, milieu humide, zone humide, marais… une mise au point sémantique est nécessaire puisque derrière ces appellations se cachent des réalités bien différentes. Il est donc évident que les mots, même si synonymes, n’ont pas la même signification dans un contexte donné.

Chaque terme revêt en effet, une connotation spécifique (caractère réglementaire pour zone humide, approche plus naturaliste pour milieu humide) sans oublier que si toutes les zones humides sont des milieux humides, tous les milieux humides ne sont pas forcément des zones humides. 

La sémantique, socle du droit 

Les "zones humides" correspondent strictement à la définition réglementaire, du L 211-1 du code de l'environnement, utilisée lors de projets d’installation, ouvrage, travaux ou activités. "On entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année". Les critères de définition et de délimitation de ces zones sont définis par le décret 211-108 et l’arrêté du 24 juin 2008 modifié par l’arrêté du 1er octobre 2009. Le code de l’environnement oblige les pétitionnaires ayant potentiellement un impact sur ces espaces, de les éviter, à défaut de réduire leur impact et enfin de compenser tout ce qu’il n’a pas pu être éviter ou réduit.  

A noter que les"marais" sont inscrits également dans la réglementation mais ne répondent pas au même critères d'identification et de délimitation que les zones humides. Les critères sont précisés par la jurisprudence.  

En savoir plus : Une zone humide c'est quoi ?

La sémantique, lien d’appartenance aux territoires

Si les différentes appellations autour des zones humides sont l’expression des représentations que les acteurs se font de ces milieux de nos jours, les noms des lieux (toponymie) nous révèlent aussi l’appropriation de ces milieux par les populations locales. Cette question est fondamentale pour communiquer et valoriser ces milieux puisque cela touche aux sentiments et aux racines.


Quand les Hommes, ont par le passé donné à un lieu une désignation précise, ils savaient que le mot choisi avait un sens qui convenait à ce lieu. C’était donc un choix motivé. Or, si cette motivation peut être encore consciente aujourd’hui, elle s’est souvent éteinte si bien que bon nombre d’entre nous, ne connaissent pas l’origine des noms de lieux qu’ils fréquentent ou habitent. En effet de nombreux lieux prennent leurs origines dans les langues régionales dite aussi langues traditionnellement parlées sur une partie du territoire de la République française, et dont l'usage est souvent antérieur à celui du français comme le breton, le basque, l'alsacien, le provençal, le créole guadeloupéen … Ces langues sont inscrites, depuis 2008, dans la Constitution et appartiennent au patrimoine français.

En savoir plus : La toponymie des zones humides & marais

La sémantique, support de l’évolution des perceptions et représentations  

Nous pouvons comparer les sens des mots entre les différentes périodes de l'histoire de la langue française grâce à l’analyse de l'évolution sémantique des mots autour des milieux humides dans l'usage. Le vocabulaire est en effet, un premier indicateur du changement de la considération que les hommes ont pour les milieux humides. 

L’étude de la sémantique dans les médias (numériques, papiers) est un baromètre intéressant pour mettre en lumière les changements de paradigmes.  Considérés pendant des siècles avec mépris (lieux maléfiques, refuge des nuisibles, support de maladies, insalubres, pourvoyeurs de fièvres, des espaces hostiles, inutiles, inexploitables et difficiles d’accès), les milieux humides passent du lieu mal-aimé à lieu apprécié (M. Amalric.2006 ) : des espaces à préserver, à restaurer et pour lesquels il faut mobiliser les citoyens (journée mondiale des zones humides en février de chaque année), des éléments essentiels de l’écosystème, zones tampons, épuration des eaux, zone d’expansion des crues, lutte contre les inondations, réserve de biodiversité, support pédagogique, paysage remarquable, développement touristique, loisirs de plein air.


Cette évolution marque donc un changement dans le vocabulaire employé, dans les représentations mais aussi dans les objectifs. Redonner aux zones humides leur bon fonctionnement (afin de prévenir les dérives du climat, se protéger contre les crues et ramener la biodiversité) devient une finalité commune dans les termes utilisés ; comme le montrent les sémantiques relatives à ces nouveaux regards portés sur les zones humides sont chargées de « re »: retour à l’origine, remise en état, rétablissement, renaturalisation, réouverture, réhabilitation, reconquête, revalorisation, restauration, etc. 

En savoir plus : Les milieux humides à la télévision et la radio

Une sémantique en perpétuelle évolution au sein de la francophonie. 

Plus de 321 millions de personnes dans 122 pays ou territoires dans le monde parlent français.  Depuis sa naissance au Moyen Age jusqu'à nos jours, la langue française a connu de nombreuses transformations et évolutions. Des changements phonétiques aux emprunts lexicaux en passant par les réformes orthographiques, l'histoire de la langue française reflète les changements culturels, sociaux, politiques et économiques qui ont eu lieu en France et dans les pays francophones. 

A titre d'exemple, le terme "milieu humide" est apparu en France autour des années 2010 sous l'impulsion du ministère de l'écologie. Il souhaitait résumer en un mot, l'ensemble des espaces concernés par la définition internationale de la convention de Ramsar (rivière, étang, lac, tourbière, karst, mangrove, récif corallien ...). Lui permettant ainsi d'utiliser le terme "zone humide" seulement dans une application réglementaire. 

"Milieu humide" prend ses racines de l'autre côté de l'Atlantique, chez nos amis, québécois. Pour eux "les milieux humides sont les marais, les marécages, les tourbières et les étangs. Ils peuvent être d'origine naturelle ou anthropique (crée par l'Homme). Ils sont recouverts d'eau de façon permanente ou temporaire." L'Assemblée nationale Québécoise a adopté le projet de loi n°132 concernant la conservation des milieux humides et hydriques pour freiner la perte de ces milieux associés à la ressource en eau. On reconnaît dans la loi l'apport fondamental qu'ont les milieux humides et hydriques sur la qualité et la quantité de l'eau, la conservation de la biodiversité et la luttre contre les changements climatiques. 

En savoir plus : Portail des milieux humides et hydriques (Québec)

Si dans leur rapport parlementaire (F. Tuffnell et J. Bignon 2019) les auteurs ont choisi… de ne pas choisir : ce qui importe, c’est de préserver, gérer et valoriser ces terres/zones/milieux pour le plus grand profit de tousn’oublions pas que pour préserver ces milieux il est crucial de parler la même langue.

En savoir plus 

- Site web de la cité internationale de la langue française

 

Page mise à jour le 19/12/2023
Share
Top