Point sur la recherche scientifique et ses débouchés opérationnels 2001-2011
En 1995, la France se dote de son premier plan national d’action pour les zones humides. Une de ses actions phare est le Programme National de Recherche sur les Zones Humides (PNRZH) qui a soutenu des projets de recherche originaux. Il a contribué à l’émergence d’équipes scientifiques spécialisées sur les zones humides. Depuis 2001, d’autres plans nationaux d’actions en faveur des milieux humides se sont succédés mais sans soutien spécifique à la recherche scientifique. La recherche ne s’est cependant pas interrompue depuis. Des connaissances scientifiques sont produites, en ordre dispersé, alors qu’elles sont nécessaires pour réduire les dégradations croissantes sur ces écosystèmes qui sont aussi ceux qui apportent de nombreux services à la société.
L’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (Onema) a confié au Muséum national d’Histoire naturelle la réalisation d’une synthèse qui avait pour but d’identifier comment la recherche scientifique, peut bénéficier aux acteurs techniques impliqués dans la conservation des zones humides. En effet, l’action de ces acteurs requiert souvent l’apport de méthodes et outils robustes, validés scientifiquement. Ici, les zones humides prises en compte sont les milieux d’interface entre les milieux terrestres et aquatiques en métropole et en outre - mer répondant à la typologie SDAGE. Le lit mineur des cours d’eau, la zone de pleine eau des lacs, la zone strictement marine, les récifs coralliens sont exclus de cette étude.
La méthode employée pour réaliser cette synthèse est le fruit d’échanges avec des scientifiques et des acteurs techniques lors de groupes de travail dédiés.
Un panorama de la recherche scientifique et ses débouchés opérationnels
La composante scientifique de la synthèse contient (1) un inventaire des projets de recherche réalisés (2001-2011) et (2) une analyse des méthodes et outils produits, mobilisables par les acteurs techniques qui œuvrent à la préservation des zones humides.
Parmi les 449 projets de recherche détectés, presque la moitié sont des thèses. Ils s’ancrent largement dans le domaine des sciences de la nature : 93% des projets, contre 7% dans le champ des sciences humaines et sociales, 9% de projets sont transdisciplinaires. L’analyse des sujets traités montre que les milieux humides littoraux sont de loin les plus fréquemment abordés (57% des projets), suivis des milieux humides alluviaux (14%) et artificiels (15%). Plus de la moitié des recherches était centrée sur les fonctions d’habitat des milieux humides, devant leurs fonctions biochimiques et hydrologiques.
Des analyses de données textuelles sur les résumés des projets de recherche ont permis de révéler « ce dont les scientifiques parlent » ; et donc les grands sujets traités. Ces grands sujets de recherche sont les flux de carbone, d’éléments organiques et inorganiques, le fonctionnement hydrologique et la dynamique sédimentaire, les mécanismes et conséquences des invasions biologiques et proliférations d’espèces, les communautés végétales et animales, la génétique des populations animales, l’exploitation de bivalves en zones côtières, la santé et la parasitologie, la spatialisation des phénomènes par télédétection, les perceptions, les services écosystémiques et la gouvernance et enfin l’analyse des actions.
Parmi les 80 projets de recherche qui proposaient des méthodes et outils à des fins opérationnels, plus d’un tiers n’a pas été détecté (non conçu ou information non disponible), soulignant l’écart entre les débouchés opérationnels proposés par les scientifiques et leur conception effective. Plus d’un autre tiers n’est ni validé scientifiquement (c’est-à-dire publication dans une revue à comité de lecture), ni accessible à un public technique généraliste sans coût important. Finalement, peu de méthodes et outils sont à validés scientifiquement et/ou accessible à un public technique généraliste sans coût important.
Les besoins opérationnels des acteurs techniques
La composante technique de la synthèse repose sur le résultat d’une enquête auprès d’acteurs techniques impliqués dans la gestion des zones humides pour identifier les méthodes et outils nécessaires. Cela a permis d’identifier des besoins dits « génériques », c’est-à-dire qui concernent tous les types de zones humides indifféremment et des besoins plus spécifiques (Tableau 1). A noter que des disparités ont été observées entre les besoins des « représentants des usagers et gestionnaires » (par ex. collectivité locale, association de protection de la nature, ONF) et des « planificateurs » (par ex. DREAL, région, département).
Tableau 1 : Besoins de méthodes et outils évoqués par les acteurs techniques qui interviennent sur les zones humides. | |
Besoins dits « génériques », applicable sur tout type de zones humides indifféremment | Besoins spécifiques à certain type de zones humides |
- Evaluer les fonctions hydrologiques, surtout les relations avec les nappes souterraines - Suivre l’état de conservation des habitats - Quantifier les services rendus - Evaluer le résultat des actions de gestion - Estimer l’impact des actions de gestion sur les services et valeurs - Disposer de protocoles ou d’indicateurs simples et standardisés à l’échelle nationale - Méthodes et outils de dialogue entre acteurs afin d’initier des projets |
Prairies humides : évaluer l’impact des pratiques agricoles sur le fonctionnement de l’écosystème, évaluer la qualité des fourrages pour le bétail. Mares : réaliser des diagnostics écologiques. Milieux tourbeux : outils de diagnostic du fonctionnement hydrologique. Forêts : évaluer l’impact de la gestion sylvicole sur leur fonctionnement pour orienter leur gestion. Bras morts : évaluer la connectivité avec les cours d’eau, surtout après des actions de restauration et pour la faune piscicole. Etangs : guider la gestion piscicole tout en préservant la biodiversité. Ripisylves : diagnostic pour assurer un « bon » entretien (concilier production de ressources en bois et fonctions). Roselières : évaluer l’état de conservation et leurs évolutions au cours du temps. |
Vers une charnière opérationnelle entre connaissance scientifique et action technique
A l’issue de cette synthèse, des transferts opérationnels sont proposés pour mieux porter à connaissance les méthodes et outils inventoriés vraisemblablement en phase avec les besoins des acteurs techniques.
Des axes de recherche thématiques sont proposés pour rapprocher la programmation scientifique avec les besoins des acteurs techniques. A titre d’exemple, il est proposé de soutenir des projets de recherche à finalité opérationnelle sur les bras morts, forêts, mares, prairies humides, ripisylves et roselières. Il est également proposé d’inclure des ensembles de zones humides « orphelins » dans la programmation scientifique (par ex. gravière, bassin aquacole, panne dunaire, schorre) ou de réaliser des projets de recherche à finalité opérationnelle sur les ressources fourragères en zones humides. Il apparaît également que la méconnaissance sur la répartition des zones humides en France constitue un obstacle majeur à la définition d’axes de recherche thématiques pertinents.
Enfin, des modalités de mise en œuvre de la recherche sont proposées pour mieux articuler la programmation scientifique avec les besoins opérationnels des acteurs techniques, tout en transcendant la dimension opérationnelle (par ex. prendre en compte les impératifs scientifiques, anticiper les besoins opérationnels futurs). Une de ces modalités consiste à poursuivre le soutien des interfaces actuelles entre scientifiques et acteurs techniques (par ex. pôles-relais zones humides), à en promouvoir de nouvelles pour faciliter le développement de recherche à vocation opérationnelle et transférer efficacement les méthodes et outils développés. Etant donné l’écart entre les méthodes et outils proposés par les scientifiques au moment où un projet de recherche est soumis et ceux qui sont effectivement mis au point, une autre modalité prometteuse est de soutenir des projets « charnières », à l’interface entre sphères scientifique et technique, dédiés à la formalisation des méthodes et outils issus des projets de recherche (ex. mise au point de protocole) et à leur diffusion (ex. formations).
Ce travail a fait l’objet d’une restitution sous la forme de quatre fascicules interdépendants.