Une dérogation à la protection applicable aux espèces protégées prise par arrêté préfectoral constitue une dé- cision administrative individuelle devant être soumise à une obligation de motivation prévue par la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, même si l’arrêté du 19 février 2007, précisant les modali- tés de ces dérogations, ne prévoit pas d’obligation à cet égard. Doit par conséquent être annulée une dérogation accordée pour la destruction de mares constituant des sites de reproduction ou d’aires de repos du triton crêté et de la rainette arboricole, dès lors que l’arrêté n’a pas précisé en quoi cette dérogation répondait à des raisons impératives d’intérêt public majeur.
TA Caen, 9 avr. 2010, n° 0902310
A été annulé l’arrêté d’un préfet autorisant une dérogation (destruction de populations de deux espèces vé- gétales : glaïeul douteux et canche de Provence) ainsi que le déplacement de deux espèces de tortues (tortue d’Hermann et cistude d’Europe) pour permettre l’extension d’une installation de stockage de déchets non dan- gereux (3,6 ha de milieux naturels impactés). Le juge a considéré que le préfet ne justifiait d’aucune raison impérative d’intérêt public majeur, seule à même de fonder en l’espèce, une telle dérogation.
TA Toulon, 26 août 2010, n° 0805213
Un projet de lotissement industriel destiné à accueillir une scierie industrielle, une unité de fabrication de pellets et une unité de cogénération, ainsi qu’un pôle d’entreprises de la filière bois, présente un caractère d’in- térêt général, mais est dépourvu de raison impérative d’intérêt public majeur, seule susceptible de permettre de délivrer une dérogation à la destruction, l’altération ou la dégradation de sites de reproduction ou d’aires de repos d’espèces animales – chiroptères, oiseaux, amphibiens et reptiles - d’une zone humide. Deux arrêtés préfectoraux portant dérogation sont ainsi annulés.
TA Dijon, 14 avr. 2015, n° 1201960 et 1300282
Est insuffisamment motivé un arrêté de dérogation de destruction d’espèces végétales protégées (arrachage de 200 pieds d’Agrostide à soies et de 10 pieds de Polypogon de Montpellier) dans le cadre d’une exploitation d’une carrière, dès lors que celui-ci ne mentionne pas en quoi la dérogation accordée répondrait à des raisons impéra- tives d’intérêt public majeur. Même si l’activité de carrière présentait un intérêt général incontestable et contri- buait à la création d’emplois directs, elle ne pouvait, par ses caractéristiques et sa nature, eu égard à la portée locale de l’intérêt économique avancée (une vingtaine de km), constituer une raison impérative d’intérêt public majeur. Peu importe que le projet soit conforme aux dispositions du schéma départemental des carrières.
TA Caen, 29 juin 2016, n° 1502165
Dans l’affaire du barrage de Sivens, le juge estime que si l’irrigation des terres agricoles constitue un intérêt pu- blic, principalement de nature économique, ce dernier ne peut pour autant être qualifié d’intérêt public majeur compte tenu de l’insuffisance des mesures compensatoires à la destruction 14 de la zone humide. En effet, la qualification d’intérêt public majeur implique que le projet soit d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats et de la faune et de la flore au sens de la directive Habitats.
Or, en l’espèce, le projet impactait 94 espèces animales protégées et la destruction directe et indirecte de 18 ha de zones humides. L’arrêté prévoyait 7 mesures d’accompagnements, 6 mesures d’évitement, 7 mesures de réduction d’impact et 11 mesures compensatoires. Au titre de ces dernières, neuf sites sont proposés en vue d’opérations de restauration de zones humides perturbées ou de réhabilitation de sites dégradés pour une surface de 19,5 ha sur les bassins-versants du projet.
Toutefois, selon le juge, ces mesures ne compensent pas réellement la disparition de la seule zone humide majeure de la vallée du Tescou. Elles sont de plus jugées «hypothétiques» dans la mesure où il existe une incer- titude sur la faisabilité technique de créer des zones humides sur des terrains qui n’en accueillaient pas aupara- vant. Enfin, certains sites choisis sont localisés en dehors de la vallée du Tescou.
TA Toulouse, 30 juin 2016, n° 1305068
Une dérogation pour motif de santé et de sécurités publiques ayant pour objet la stérilisation d’oeufs de goéland argenté dans certaines parties d’une commune a été annulée. Le préfet avait retenu la présence de 121 nids sur la commune et justifiait de nuisances engendrées en période de reproduction telles que les salissures, les nui- sances sonores, la dégradation des toits. Toutefois, le juge considère que cette méthode, très lourde et coûteuse, ne peut être envisagée que pour des opérations d’envergure. De plus, elle ne supprime pas l’effet attractif qu’a une colonie en place pour des arrivants cherchant un site et des congénères pour se reproduire.
TA Caen, 15 nov. 2017, n° 160858
Un projet de centre commercial (Val Tolosa), eu égard à sa surface commerciale, ne peut être considéré comme s’inscrivant dans une politique publique de développement de pôle commercial majeur. La prescription P 95 du SCOT exige qu’un pôle majeur ne dépasse pas 75 000 m2 alors que le projet porte sur une surface de 79 063 m2. Les requérants ne peuvent donc soutenir que leur projet serait prévu par la politique locale d’aménagement et présenterait, de ce seul fait, un intérêt public majeur. De plus, le SCOT préconise de limiter le développement de pôles commerciaux, le projet n’est pas soutenu par l’ensemble des acteurs institutionnels et le secteur est déjà desservi en grandes surfaces. En dépit de la création de 1 500 emplois, le projet ne répond pas non plus à une raison impérative d’intérêt public majeur suffisante pour justifier l’atteinte aux espècse.
Le juge confirme au fond : le territoire de l’est toulousain est déjà desservi par plusieurs pôles commerciaux. En outre, le SCOT établit que l’offre en grands centres commerciaux est suffisamment structurée pour répondre aux demandes des prochaines années, son document d’aménagement préconisant, en outre, de limiter le dé- veloppement des pôles commerciaux existants ou futurs dans la zone concernée. Il précise enfin que le projet n’est pas soutenu par l’ensemble des acteurs institutionnels locaux. A noter qu’un arrêt rendu par la CAA de Toulouse le 25 mai 2022 confirme l’annulation du permis de construire du centre commercial pour cause de PLU illégal, rendant ainsi impossible la réalisation de ce projet.
CAA Bordeaux, 13 juill. 2017, n° 16BX01364
CE, 25 mai 2018, n° 413267
CE, 24 juill. 2019, n° 414353
Un projet d’une base d’aviron et de bâtiments attenants ne justifie d’aucune raison impérative d’intérêt public majeur, la promotion, l’attractivité des championnats d’aviron (augmentation du nombre de licenciés) et les retombées économiques (6 000 personnes attendues) de ceux-ci ne pouvant constituer une telle raison.
TA Grenoble, 17 oct. 2017, n° 1407103
CAA Lyon, 23 oct. 2018, n° 17LY04341
Le juge annule un arrêté autorisant le projet de contournement routier de Beynac de 3,2 km composé de deux ouvrages de franchissement de la Dordogne dans un secteur classé en réserve de Biosphère de l’UNESCO et abritant trois châteaux classés monuments historiques. Le projet impactait 129 espèces protégées et provoquait la destruction d’environ 22 hectares d’habitats de ces espèces. Le projet était de plus partiellement implanté sur un site Natura 2000. La raison impérative d’intérêt public majeur est exclue par le juge : la déviation prévue n’a pas d’impact considérable sur le développement économique, les gains de temps de parcours, la pollution ou encore la sécurité publique. La remise en état du site est confirmée en appel (v. ci-dessous).
TA Bordeaux, 9 avr. 2019, n° 1800744
CAA Bordeaux, 10 déc. 2019, n° 19BX02327
CE, 29 juin 2020, n° 438403
CAA Bordeaux, 7 juill. 2022, n° 21BX02843
Un projet d’exploitation de carrière située dans une zone humide classée en zone Natura 2000 (plateau des 1 000 étangs), avec une extraction prévue de 250 000 tonnes de roches volcaniques par an et une installation de transit de matériaux sur une surface de 0,95 ha présente un caractère d’intérêt public certain, en contribuant à l’approvisionnement en matériaux extractifs sur le bassin. Toutefois, le projet aboutit à impacter trois espèces d’amphibiens, 20 espèces d’oiseaux et deux espèces de mammifères ainsi que la destruction de l’habitat de ces espèces via un défrichement de 7,77 ha. S’il doit permettre une production équivalente à 250 000 tonnes par an en moyenne, la contribution du projet à la production de matériaux extractifs reste modeste. En outre, il est constant que les bassins voisins comptent déjà de nombreuses carrières réparties dans les zones les plus favorables à l’extraction de ces matériaux, alors qu’il n’est ni démontré ni même allégué que le projet de carrière contesté viserait des matériaux d’une qualité exceptionnelle ou présentant des caractéristiques rares. En consé- quence, le projet ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur.
CAA Nancy, 8 juill. 2021, n° 19NC00490
Même si un projet de centre de tri de colis Amazon de 38 000 m² présente un intérêt public, le juge ne le consi- dère pas pour autant comme justifié par une raison impérative d’intérêt public majeur : le recrutement des 600 personnes prévues n’est pas démontré, tout comme la conservation de cet apport local d’emploi à l’échelon ré- gional tandis que la création potentielle d’emplois et les retombées économiques ne suffisent pas à caractériser une raison d’intérêt public majeur, même dans un secteur où le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale.
TA Nîmes, 9 nov. 2021, n° 2002478
Ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur une dérogation déposée dans le cadre du re- nouvellement et d’une extension d’une exploitation de carrière sur 56,5 ha supplémentaires et qui impacte 39 espèces protégées :
- il existe dans les départements de la région, d’autres gisements de sable de nature et de qualité comparables et en quantité suffisante pour répondre à la demande dans le département de la Manche ;
- la filière locale d’extraction et de transformation de granulats n’est pas mis en péril du seul fait d’être contraint de s’approvisionner dans d’autres départements ;
- l’acheminement de sable jusqu’aux centrales à béton entraîne un accroissement significatif des rejets de dioxyde de carbone et de particules polluantes ;
- la société peut poursuivre son exploitation jusqu’au terme de l’autorisation qui lui a été délivrée (2030) même si le renouvellement n’est pas accordé.
CAA Nantes, 24 janv. 2020, n° 19NT02054
CE, 30 déc. 2021, n° 439766
Est annulée une dérogation concernant un projet de parc éolien dont la construction a pour effet de détruire ou d’altérer les habitats de spécimens de 100 espèces animales protégées (dont 4 espèces de reptiles, une espèce d’amphibien et 70 espèces d’oiseaux) et perturber ou détruire ces espèces. Le juge estime que ce projet ne ré- pond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur :
- d’une part, il ne représente qu’une production correspondant à la consommation d’environ 206 000 habitants, soit une contribution modeste à la politique énergétique nationale alors que la zone du projet compte déjà de nombreux parcs éoliens,
- d’autre part, les bénéfices socio-économiques du projet sont limités et transitoires.
CAA Marseille, 24 janv. 2020, n°18MA04972
CE, 10 mars 2022, n° 439784
Une dérogation demandée dans le cadre d’un projet de plateforme logistique comprenant des zones de stoc- kage et de réception/expédition ainsi que des locaux administratifs et techniques d’une surface d’environ 20 000 m² a été annulée :
- le terrain d’implantation du projet bien qu’en partie artificialisée durant la construction de l’autoroute A89 se trouve dans un corridor écologique identifié dans le SRCE Rhône-Alpes et présente une sensibilité écologique particulière caractérisée par la présence de nombreuses espèces protégées. Les travaux entraîneront la destruc- tion ou la dégradation d’habitats de 32 espèces protégées, la destruction ou la perturbation de sept espèces de reptiles et amphibiens dont le Triton crêté, qui présente un enjeu de conservation fort en raison de la rareté de son habitat de reproduction à l’échelle locale ;
- le projet ne répond à aucune raison impérative d’intérêt public majeur : ni économique, la création de 250 emplois supplémentaire sur le site de production n’étant pas avérée, pas d’avantage que l’intérêt pour la santé lié à la production de matériels médicaux, et pas plus qu’une réduction de la pollution atmosphérique, le site de production ayant vocation à remplacer un site à l’international.
TA Lyon, 7 oct. 2021, n° 2004480
Une dérogation accordée dans le cadre d’un projet d’exploitation de carrière sur une surface de 278 862 m², dont une extension de 99 912 m² pour une superficie exploitable de 195 820 m² est annulée :
- le site d’extraction se situe dans le PNR du Pilat, en bordure de son périmètre et le milieu naturel présente des enjeux pour la biodiversité. En particulier, l’exploitation de la carrière et les extractions nécessiteront des défrichements qui risquent de détruire 43 espèces protégées et leurs habitats, dont l’engoulevent d’Europe, le pic noir, grand-duc d’Europe, six espèces de chiroptères et deux espèces d’amphibiens ainsi que leur lieu de reproduction, d’habitat et de chasse ;
- faute de qualité spécifique avérée du gisement ou d’une insuffisance démontrée à satisfaire les besoins locaux de production en granulats pour les vingt prochaines années, le maintien d’une dizaine d’emplois et la parti- cipation de l’entreprise aux finances locales sont insuffisants pour caractériser une raison impérative d’intérêt public majeur.
TA Lyon, 28 févr. 2022, n° 2002067